En 1948, le patron de Technès, Jacques Vienot disait « La France est vieille; chefs d’industrie, ingénieurs, constructeurs, la concurrence étrangère vous guette ! »
Le XXI siècle ouvre une période nouvelle et inconnue: révolution continue du numérique, révolte « environnementale », fragmentation sociale. Dans ce contexte, on entend souvent que le Design a plus changé dans les 25 dernières années que lors des 100 ans qui ont précédé. Il prétend désormais agir sur l’écologie, les services, le social, les affaires publiques et le numérique, etc. Est-on vraiment certain de ces nouveautés ? Quand on parcourt l’ensemble des textes et des projets des designers des 70 dernières années, on mesure la permanence des actions et des questionnements qui font le bon design.
La France est géographiquement au centre de l’Europe, entouré de maîtres du design allemand, italien, flamand, suisse et anglais. Elle est pourtant largement périphérique en matière de design. Culturellement, le design, cet art impliqué n’est pas français. Depuis la mort de Louis XVI, la décoration, devenue art bourgeois, est avant tout située dans la sphère privée. Celle-ci est rarement impliquée dans les affaires et les productions des entreprises, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins. On le mesure en comparant la somptueuse villa Cavrois de Robert Mallet Stevens à la Manufacture Cavrois à quelques kilomètres de là, l’une flamboyante et belle, l’autre triste et désespérément utilitaire. L’homme qui fera la transition entre les arts décoratifs et le design est Jacques Viénot. Doucement notre pays adopte le design, sans forcément toujours le comprendre.
Aujourd’hui, si la France n’est toujours pas un pays de design, elle est devenue résolument un pays de designers dans de nombreux secteurs d’activités. Ceux-ci ont contribué pour des marques aux productions, à l’économie, mais aussi à la culture de notre pays. En effet, il n’est pas commun de considérer que les objets anonymes, les choses du quotidien soient des objets de cultures. En creux, ces objets pourtant disent beaucoup de nous. La 2CV ou le TGV sont des mythologies tout autant que le verre Duralex, la signature sonore de la SNCF de Louis Dandrel ou France Connect.
Alors que l’on célèbre les 70 ans des Janus, je vous propose un paysage très personnel et forcément incomplet des marques, des entreprises et des designers qui ont contribué à changer nos usages et nos cadres de vie.
Il est difficile de ne pas citer le rôle du commerce dans le design français. Le Printemps et Les Galeries Lafayettes ont changé le commerce en proposant « le monde » à Paris. On se souvient également de Prisunic avec les propositions de Marc Held, Claude Courtecuisse ou Marc Berthier porté par le dynamisme de Denise Fayolle et Maïmé Arnodin. Carrefour a de tout temps innové et fait appel au design jusqu’a une avoir une direction du design créé par Phillipe Picaud. Au Nord, Décathlon et Leroy Merlin champion de la grande distribution spécialisée ont su proposer une offre spécifique avec des conceptions et des produits désormais iconiques comme la marque de vélo Triban ou le masque EASY Breathe .
Quoi de plus français que la cuisine. Les arts ménagers en sont la forme utile. Ainsi, de la Cocotte Minute Seb au Presse-purée Moulinex, le Groupe Seb est dans nos cuisines et nos vies. Le groupe et ses marques est un pionnier du Design avec les interventions de Technès pour Seb à l’exemple du fameux grille tout pain orange de Gilles Rozé. Chez Moulinex, c’est l’ingénieux Jean-Louis Barrault, designer de la Mehari Citroen qui conçoit des gammes démonstratives du pouvoir du design.
Les grandes infrastructures sont partie intégrante de la culture française des années 60 et 70. On se doit alors de citer la SNCF et sa relation avec Roger Tallon. On retiendra de leur collaboration le Train Corail, icône des trains modernes, mais également pionniers des approches ethnographiques. Ce train immortel qui anime encore les paysages de France illustre la lutte du train contre l’auto préfigurant le TGV et le renouveau du ferroviaire.
On doit également citer l’architecture sans façades du RER, réseau express traversant Paris dont le train MI 79 de Michel Buffet pour la CEI (Compagnie de l’esthétique industrielle), avec ses portes rouges et sa livrée bleue et blanche, mais également ses intérieurs aux couleurs et a l’éclairage gai et reposant. Ce train iconique a longtemps été le lien entre Paris et l’Aeroport Roissy Charles de Gaulle. Malgré son âge, ce design iconique est toujours plus contemporain que les gesticulations complexes récentes parce qu’il reposait sur l’idée de culture et de vision. Avec sa signalétique au graphisme futuriste, ses matériels roulants et son architecture souterraine, le RER illustre une démarche de design d’un système de mobilité complète.
En surface, pour embellir et moderniser nos villes et les espaces publics, JCDecaux a inventé un système unique de mobilier l’Abribus et d’équipement urbains unique au monde financé par la publicité. Cette « design compagnie » française a parmi les premières adossée le service à sa production d’objets publics dessinée par les plus grands designers. JCDecaux illustre une qualité et une exigence qui on contribué a donner forme à la ville servicielle.
Nous sommes, faut-il le rappeler, un pays pionnier de l’automobile. Renault, entreprise singulière en son temps, ouvre le style au design. Ses autos ne sont jamais les plus belles, mais elles sont souvent les plus attachantes, les plus utiles et les plus en phase avec les évolutions sociologiques. Les Renault sont grâce à Gaston Juchet, Patrick Le Quement, ou aujourd’hui Gilles Vidal des voitures à vivre. La Twingo est sûrement l’icône française des rapprochements de l’automobile et du design.
La décoration et l’ameublement sont souvent confondus avec le Design, jusqu’à le confondre avec un style. C’est probablement parce que Ligne Roset et Roche Bobois, éternels concurrents, ont fait travailler les meilleurs et ont contribués à la modernisation de l’habitat français. On ne pourra également se remémorer du rôle du VIA à partir des années 80 dans ce dynamisme.
Il est difficile d’échapper au Luxe dans notre pays. Ces industries de l’art de vivre sont une chance et une force. Si une marque de luxe devait se rapprocher de la démarche de design, ce serait Hermès.
Puis vint la révolution numérique. Si notre pays a quelques atouts, il a du mal à considérer produire autre chose que des services ou des applications professionnelles. Il est difficile de nommer des services grands publics de notoriété mondiale produits en France. Cependant, on peut souligner la performance de Withing, fondée par le visionnaire Éric Carreel. Wihings propose des produits de santé connectés à son téléphone magnifiquement dessiné par Ellium Studio.
L’autre pépite du numérique est Parrot, entreprise aux vies multiples qui de la maîtrise du Bluetooth, à l’auto est passée aux Drones, qui a toujours intégré le design à ses objets ultras performants. Avec ses drones, elle équipe aujourd’hui les professionnels et de nombreuses armées et services de secours dans le monde. Parrot est habité par la vision d’Henri Seydoux, inventeur autant qu’entrepreneur, mais surtout homme de culture.
On le mesure, ces quelques entreprises sont des modèles en termes d’offre, de culture et de rayonnement. Elles pratiquent toutes le design à un niveau à la fois large et profond.
Alors que l’antienne de Jacques Viennot est plus que jamais valable. Les entreprises de 2024 seront-elles être à la hauteur de leurs ainés ? La France saura-t’elle devenir un pays de Design ? On pourrait ajouter que c’est une solution et une opportunité pour résoudre ses nombreux défis…