Réparer la France moche

Confrontées au e-commerce, à la transition écologique et à l’évolution des modes de vie, les zones commerciales de bords de ville sont en déshérence. Pour Jean-Louis Frechin, c’est l’opportunité d’y inventer la ville de demain.

Les entrées de ville et leurs zones commerciales sont un des symboles de la « France moche ». Ces 1.800 zones commerciales ont connu leur âge d’or dans les années 1960 à 1990. Aujourd’hui confrontées aux défis du e-commerce, à la transition écologique et à l’évolution des modes de vie, elles sont en déshérence et une opportunité urbaine.

L’Etat a saisi le problème en engageant plusieurs démarches, comme le Lab périurbain  en 2016, les programmes du Plan urbanisme construction architecture, ou lors des Assises du commerce.

Zones tests

En septembre, le gouvernement a lancé un plan de transformation des zones commerciales de 24 millions d’euros. Les projets doivent impulser une dynamique autour de ces zones pour y reconfigurer l’emprise au sol avec des logements, des services et des espaces verts. Une vingtaine de « zones tests » ont été sélectionnées, d’autres le seront fin 2023. Plusieurs collectivités ont commencé à agir, à l’image de Nantes, Sartrouville ou Bordeaux.

Au-delà de l’opportunité foncière, l’enjeu est surtout de réparer et de repenser les limites des villes pour leur donner une qualité urbaine. L’enjeu de ces projets sera d’aller au-delà de la seule rationalité économique et fonctionnelle. L’architecte Roland Castro soulignait le paradoxe entre les grands ensembles conçus rationnellement avec toutes les conditions de confort, mais qui ont donné des résultats catastrophiques, face aux villes centres « imparfaites », mais qui restent des objets de désir.

Rôle du commerce

Faire la « ville » nécessite une « approche sociale, culturelle, esthétique et agrégative ». Pour réussir, les équipes de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’oeuvre doivent répondre à de nombreuses gageures relevant de processus complexes et hétérogènes. La nature des collaborations pour fluidifier et aligner les propositions de toutes les parties prenantes nécessitera un design de processus transdisciplinaire pour obtenir des propositions innovantes.

En urbanisme, le rôle du commerce est souvent sous-estimé. Il est rarement considéré comme un élément de valeur sociale et urbaine. Pourtant café, épicerie, boulangerie, supérette sont des lieux de sociabilité et d’identité indispensables.

« Place des services »

Il existe des initiatives intéressantes dans les domaines de l’innovation commerciale et sociale . Le Groupe SOS a lancé une initiative pour animer 1.000 cafés dans 3.200 petites communes de moins de 3.500 habitants. La SEM Paris commerce a créé le « Testeur de commerce », un incubateur qui favorise l’éclosion de commerces à Paris, en leur permettant de tester leur concept avant un établissement définitif. « Le petit commerce est une externalité négligée qui a des atouts énormes pour les villes », revendique sa directrice Emmanuelle Hoss. La vénérable Poste propose la « Place des Services », un concept de conciergerie d’hyperproximité, alliant présence humaine, services postaux et autres services dans un lieu physique ouvert à des horaires adaptés.

On le mesure, le travail s’annonce important pour transformer ces non-zones en fragment de « ville » attractif et durable. Entre volontarisme politique et innovation des opérateurs urbains, la ville de demain pourrait bien s’inventer dans les zones commerciales d’hier. L’enjeu de ces projets est la création d’une véritable « école de régénération » de la ville sur elle-même et de nouvelles collaborations. Les premiers résultats concrets sont attendus d’ici à 2025.

Jean-Louis Frechin est directeur de l’agence Nodesign.

 

 

Publication originale dans les Echos
18 décembre 2023 | Jean-Louis Frechin | Économie & société, science & prospective | Innovation | Tribune