Le designer Jean-Louis Fréchin de l’agence Nodesign, affirme trouver dans le “corsaire” un nouveau modèle d’innovation. Vivant dans un univers plus régulé que le “pirate”, le corsaire désigne l’équipage d’un navire civil armé et autorisé à attaquer des ennemis en temps de guerre. Il est également un explorateur. Peut-être peut-on même voir en lui le premier hacker? Armé de cette métaphore, Jean-Louis Fréchin espère partir à l’abordage d’anciennes industries aux pratiques lourdes et archaïques, afin de les féconder par un usage intelligent des nouvelles technologies.
Aujourd’hui, l’industrie, au sens classique du terme, n’a pas bonne presse. La notion de produit en série passe mal à l’heure où chacun espère posséder quelque chose d’unique. L’époque de la Ford T, “qu’on peut choisir de n’importe quelle couleur, pourvu qu’elle soit noire” voire de la quatre chevaux “qui fait rouler la France” est bien révolue.
Il faut donc inventer de nouvelles conceptions de fabrication-distribution et réaliser des objets du XXIe siècle, des objets-services des objets-interfaces qui permettent une post-production par les utilisateurs.
La première “vieille industrie” attaquée par les “nouveaux corsaires” comme se définit le designer a été celle du papier peint, une activité dont les méthodes n’ont guère évolué depuis bien longtemps. La première action a consisté à “parasiter les machines”, les cylindres qui impriment le papier peint, en les connectant à un ordinateur. On peut ainsi créer ses propres motifs, en pilotant l’impression par logiciel. Et s’amuser à utiliser l’Ascii art ou ses propres empreintes digitales comme motifs, explique son complice Uros Petrevski.
Mais ces différentes améliorations ne font que préfigurer le dernier projet, plus sophistiqué, celui du “papier peint augmenté” grâce auquel les deux designers ont remporté le grand prix du Wall PaperLab, cette exposition au musée des Arts décoratifs lancé par l’association pour la promotion du papier peint. L’idée est d’utiliser des motifs particuliers, pouvant être lus sur le principe du Flashcode et permettant d’augmenter le papier peint d’information quand on le regarde via un smartphone. Si on regarde les murs décorés avec ce nouveau système par l’intermédiaire d’un smartphone on pourra y voir inscrit des “souvenirs” : inscriptions, décorations personnelles de toutes sortes, voire même des objets en 3D qui seront lisibles via le tag imprimé comme motif sur le papier
FabWall – WallPaperLab 2010 from NoDesign on Vimeo.
Cela va bien plus loin que la fausse idée de “customisation” pour devenir une véritable “post production”, un “papier peint à finir soi-même”.
Par ce genre de procédé, on peut imaginer redéfinir un nouvel artisanat pour le XXIe siècle. Et dans cette optique, les projets de FabLab que défend ardement Jean-Louis Fréchin prend toute sa valeur. Avec des projets de ce type, le FabLab n’est pas seulement un enjeu social, il est aussi un enjeu économique et éducatif.
La France a toujours eu du mal à concilier l’art et l’industrie au contraire d’autres pays européens. C’est encore plus difficile aujourd’hui, car la France n’est même plus un pays industriel, estime le designer. Mais le FabLab permet de reconclier non seulement la technologie et l’art, mais aussi la société et les gens. Il faudra sans doute concevoir de nouveaux modèles pour opérer cette mutation, bien sûr. A l’instar du corsaire, qui vit dans un environnement sauvage mais néanmoins plus régulé que le pirate, c’est peut être vers un modèle de “place du marché” qu’on va se diriger, pour intégrer ces nouveaux processus artisanaux. Celui-ci se trouve à mi-chemin entre la cathédrale, ou tout est décidé d’en haut, et le bazar, ou tout émerge à partir du bas. Dans une place de marché, il peut tout se passer, mais on sait néanmoins toujours ce qu’on va y trouver.
Rémi Soussan via Internet ActuLive
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