Alors que nous parlons tout le temps d’innovation, qu’en est-il réellement de la production de celle-ci ? Les techniques les plus en vogue, comme le design thinking ou la cocréation, donnent-elles des résultats intéressants ? Etonnamment, l’innovation ne convoque jamais l’imaginaire, alors que nous avons actuellement de grandes difficultés à nous projeter dans le futur. L’imaginaire peut être défini comme le résultat de l’imagination d’un individu, d’un groupe ou d’une société, produisant des images, des récits ou des mythes au-delà de la réalité. Il y a plusieurs imaginaires possibles. Le premier est individuel, porté par des visions, le second est social et relève de l’adhésion à des croyances partagées. Nos sociétés – et les entreprises contemporaines – ne reposent sur aucun imaginaire puissant, contrairement à la première partie du XXe siècle, habitée par l’idée du progrès technique et social. Sommes-nous en panne d’imaginaire ? Pour penser le monde, il faut être capable de l’imaginer différent de ce qu’il est. L’imaginaire est par nature un élément consubstantiel de l’acte de design. Il est le moteur de la création pour la conduite de desseins, de visions, de propositions sous la forme de symboles, d’images, de mots, de mythes, de récits, à l’exemple du Bauhaus, du mouvement futuriste en Italie ou des expositions Design and the Elastic mind ou Talk to Me du MoMA, par exemple. Le « design fiction « , proposé par Julian Bleecker et Nicolas Nova du Near Futur Laboratory, repose sur une approche subtile qui mêle design et narration pour mieux spéculer sur l’avenir. L’écrivain Bruce Sterling définit le « design fiction » comme « l’utilisation intentionnelle de prototypes pour rompre avec la défiance ou l’incrédulité à l’égard du changement », à l’exemple du TBD Catalog, un catalogue de vente par correspondance rempli d’objets illustrant notre futur immédiat. L’ « ethnographie spéculative » de Nicolas Nova questionne les gestes et postures possibles nés des usages de technologies numériques imaginaires pour concevoir celle qui pourrait réellement nous servir. « Notre appartenance au monde des images est plus forte, plus constitutive de notre être « , disait Gaston Bachelard. Il est alors urgent de produire et de partager des imaginaires qui vont nous guider vers un monde plus désirable et durable.
Publication originale dans les Echos
17/10/2017 | Jean-Louis Frechin | Économie & société | Innovation | Tribune |