Hommage à Nicolas Nova, pionnier de l’anthropologie des cultures numériques, brutalement disparu le 31 décembre 2024. L’héritage de l’anthropologue français Nicolas Nova, chercheur et enseignant basé en Suisse, réside dans la capacité à créer des ponts entre des univers souvent cloisonnés : académie et entreprise, théorie et pratique, design et anthropologie.
La communauté de l’innovation a été bouleversée par la disparition soudaine de Nicolas Nova le 31 décembre 2024. Ce chercheur, anthropologue, auteur et enseignant français basé en Suisse, a marqué de son empreinte la compréhension des cultures numériques contemporaines par son approche transdisciplinaire.
Son parcours académique illustre sa volonté de décloisonner les disciplines. Il est titulaire de deux doctorats successifs : l’un en sciences cognitives de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, puis l’autre en sciences sociales de l’université de Genève. La cofondation des conférences LiY à Genève avec Laurent Haug représente un élément clé de sa culture et de sa vision unique de la recherche et de l’innovation libre et ouverte.
Bien avant Ted, ces rencontres sont devenues un carrefour international où
entrepreneurs, chercheurs, futurologues et designers dialoguaient et exploraient
ensemble l’avenir. Ces formations hétérogènes, puis sa découverte du design à l’atelier de design numérique de l’Ensci ont façonné sa culture.
« L’invention du quotidien »
A la manière d’un Michel de Certeau, ou du designer Achille Castiglioni, Nicolas porte un regard curieux sur « l’invention du quotidien » à l’ère numérique. Ce qui distingue ce double docteur créateur est son refus humble des traditions sociologiques établies. Là où la sociologie française s’est construite autour des Durkheim, Ellul ou Bourdieu, Nova a choisi une voie différente. Il s’est affranchi de toute idolâtrie dogmatique et fermée. Cette posture fait un écho à l’observation de Thomas S. Kuhn qui, dès 1962, relevait qu’aucun autre groupe professionnel ne produisait un travail aussi exclusivement destiné à ses pairs que le monde académique, jugé uniquement par eux plutôt que par ses bénéficiaires réels. Ce
travailleur insatiable a rompu avec l’isolement académique par son ouverture et sa liberté expérimentale et l’importance de rendre ses propos pertinents pour d’autres publics.
Design fiction
Pionnier du design fiction, il crée le Near Future Laboratory, aux côtés de Julian Bleecker, Nick Foster et Fabien Girardin. Ce laboratoire repose sur la démocratisation de la prospective au-delà des cercles d’experts par la matérialisation des hypothèses en objets manipulables, pour un futur proche et plausible. En 2024, il crée avec son complice de toujours, Fabien Girardin, une agence d’exploration prospective, dédiée aux entreprises et
aux institutions.
Son oeuvre écrite comprend 19 ouvrages, dont les plus récents témoignent de la maturité de sa pensée. « Fragments d’une montagne » (2023) analyse les mutations alpines contemporaines, tandis que « Le Petit Peuple de nos machines » (2024) explore les mythologies liées aux technologies. Son blog Pasta & Vinegar, actif depuis 2003, et son infolettre « Lagniappe » lui ont servi de laboratoires d’idées où il expérimentait de nouvelles formes d’analyse.
L’héritage de Nova réside dans la capacité à créer des ponts entre des univers souvent cloisonnés : académie et entreprise, théorie et pratique, design et anthropologie. La perte de cette voix unique dans le paysage intellectuel et créatif nous oblige à poursuivre son approche audacieuse, sa méthodologie unique, afin d’inspirer et produire de nouvelle génération de chercheurs, d’innovateurs et de designers « à la Nicolas Nova » qui transcenderont les frontières disciplinaires traditionnelles pour mieux appréhender la complexité du monde contemporain.
Merci Nicolas
Jean-Louis Frechin est directeur de Nodesign.
Publication originale dans les Echos Publié le 20 janv. 2025 | Jean-Louis Frechin | Économie & société, science & prospective | Innovation | Tribune