L’âge de la confrontation, et si on passait à autre choses

L’âge de la confrontation : un mal français

Le texte l’”âge de la prédation” m’a réjoui et troublé. Il a réveillé la rentrée… Les conversations sur les chemins et les directions à prendre sont parfois précieuses. Cette publication, ses réponses et les certains commentaires signent la vivacité des conversations qui permettent de “domestiquer” la complexité de notre monde, Ces conversations éclairent les philosophies de l’instant et les enthousiasmes stériles de l’époque.
Quel que soient les différences de propos, d’idées ou de visions ces échanges sont salutaires, ils sont français. Comme le disait Voltaire: “je ne suis pas d’accord avec vous, mais je serais prêt à mourir pour que vous puissiez le dire”.
Ces vifs échanges signent la rentrée, j’y ai reconnu l’endroit où j’habite, toujours enclin à expliquer et documenter le monde en train changer, à pointer les risques dans les opportunités de l’époque, souhaitant les expliquer avant qu’elles n’existent  » je sais donc j’existe ». Le texte de Dominique Boullier et sa posture sont donc profondément ancrés dans notre culture critique mais cynique, désespéré et désespérante . Bienvenue chez nous, c’est la rentrée.

Ce texte est troublant. En noir et blanc. Je ne reviendrai pas sur le fond argumenté et référencé jusqu’à en perdre le fil. Ils s’engouffrent dans des interrogations légitimes pour tout un chacun et rencontrent l’adhésion de partisans déjà convaincus. Il pointe ce que nous savons tous, l’âge du service et de l’usage et sa financiarisation porte en soin sein des dérives ou des tensions qu’il s’agit de documenter, d’expliquer et de contourner. Qui peut être contre ce constat ? Qui est n’est pas contre le mal ou la faim dans le monde ? Il fait par contre un procès d’intention en “religiosité” et en « fascination » au propos de l’”Âge de la Multitude” qui n’a pas lieu d’être.

Étrange, on ne parle pas, dans cette critique de l’humain, de l’autonomie, du pouvoir, de la capacité créative donnée aux hommes par le numérique même par les grands méchants Apple et consorts . Ceux-ci sont tout simplement absents de ce texte au prétexte de les protéger. Il nous semblait que les tensions entre ces choix relèvent d’analyse subtile des hommes, du désir, de la liberté et de la quête d’autonomie et d’émancipation. il n’en est ici pas question. C’est troublant à l’âge de la conversation et aux pouvoirs attribués à la figure de “l’amateur”. Cette tribune, on le voit dans les commentaires, envoie également une adresse facile aux jeunes qui s’interrogent sur leur futur . Une compilation des maux du monde, légitimés à partir d’éclairages “savants” et à l’adhésion facile et consensuelle. En cela , il est dérangeant.

Il tente de prouver scientifiquement pourquoi Verdier et Collin on tord . Il s’agit donc pour l’auteur d’affirmer une vérité. Il force artificiellement une opposition entre monde universitaire, notamment un type de science humaine et sociale sur la défensive et viellissant que scientifique, et le reste du monde. À moins que transparaisse ici, un reliquat de la guerre doctrinaire des gauches, plus qu’un propos humanisme. Il souligne la difficulté et la crise de la sociologie française à succéder à ses grands modèles. Je comprends qu’un universitaire défende son institution, j’y souscris. Mais celle-ci est-elle en cause dans le livre de d’Henri Verdier et de Nicolas Collin ? Ils ont chacun répondu ici et .

Il est difficile de comprends cette opposition si française entre connaissance, idées, critique et acte d’entreprendre, compréhension et proposition. Alors que je crois que c’est notre nature profonde d’en faire la synthèse de par notre culture, notre histoire et notre éducation. C’est aussi notre but commun d’un usage social et humaniste des technologies. Il nous semble que tous les protagonistes dans cette affaire revendiquent cet enjeu, alors pourquoi cette forme clivante ? La situation caricaturale d’un professeur des universités contre la figure de l’entrepreneur et sa réciproque ne sont-elles pas dépassées et tout simplement ridicules. Balayons devant notre porte ? Qu’avons-nous fait récemment pour donner des leçons ? Que faisons-nous pendant la chute ? L’enjeu n’est-il pas ailleurs ? Cette posture autocentrée, dogmatique et passéiste n’est-elle pas contradictoire avec le “parlement des choses” de Bruno Latour.

Enfin, si la sociologie des usages et de l’innovation sait des choses qu’elle les applique et les partage. Nous n’avons plus l’opportunité de nous en passer. Si les Labos d’usages utilisant les memes methodes de tracking dénoncé dans l’article sont producteurs de solution, qu’il les montrent. Observer n’est pas proposer.

Nous en avons terriblement besoin dans notre pays ou nous produisons peu de “machins” grand public technologiques de rayonnement mondial aussi bien dans le monde marchand que dans l’espace non marchand, social et artistique. Nous n’avons pas les moyens de nous passer des énergies constructives. Peut-être cette posture qui s’attache plus a la documentation a posteriori des manières de faire plutôt qu’a l’acte complexe, difficile, risqué, de “faire” et de “proposer du nouveau” n’en a t’elle simplement pas la culture ?.
Je ne peux que m’interroger sur ce qu’aurait fait l’auteur à l’époque de l’aviation quand on a inventé en France l’objet, l’usage, et l’économie de l’avion avant même de pouvoir expliquer pourquoi cet objet pouvait voler . Il est vrai que la sociologie des usages et l’innovation n’existaient pas, et que l’aviation a été inventée dans des ateliers. Il est vrai que l’informatique et les sciences de l’information sont exactement l’exemple l’inverse. Elles sont nées dans les universités et les laboratoires militaires . Le numérique en est une substance historique et cette révolution s’est diffusé aux hommes qui en ont fait ce quelle est. Il faut l’accepter, aussi. Je veux dire en cela qu’il n’y a pas toujours de préalable de la “compréhension” à l’invention. Il est évident également que chaque technologie porte en son sein autant d’opportunités que de risques. C’est cette tension qu’il faut documenter .

Le ton est dur, cynique, agressif inutilement. Il défend des doctrines et en cela s’attache facilement des clans et des militants d’un grand soir et d’un monde bipolaire qui ne sera plus. Il cherche une tribune idéologique, voir doctrinaire. À cet égard, beaucoup de commentaires affirment qu’ils n’ont n’on pas lu le livre l’”âge de la Multitude” ! . Le propos de Dominique Boullier se suffit donc à lui même, pour un public déjà conquis indépendamment finalement du livre qui en aurait justifié l’écriture.
Cela renforce sa posture doctrinaire qui est assez proche de l’appel des 451 de Giorgio Agamben, sur le livre numérique , basé sur le même postulat “nostalgique” et tardif que tout serait mauvais dans le nouveau , le marché et l’entreprise que c’est aux “sachant” plus qu’aux praticiens d’organiser ce qui sera. Tout cela nuit aux propos. Mais nous confirme que “c’était toujours mieux avant”.

Là où je me dissocie totalement du propos dans sa forme malgré son intérêt indéniable, c’est qu’il s’oppose à un changement nouveau et significatif de «notre manière de faire les choses». II fait voler en éclat le “Salon numérique” cet espace de conversation qui depuis plus de 10 ans s’est établie étonnamment en France dans des espaces comme la Fing, Silicon Sentier, les entretiens du Nouveau Monde industriel, Cap Digital ou Futur en Seine et dans de très nombreuses villes en région (Hacklab, Fablab et autres cantines) . Ces nouvelles situations qui ont permis de faire “converser” des chercheurs, des artistes, des ingénieurs, des développeurs, des entreprises grandes et en devenir, des écoles, des universités et des laboratoires pour mettre des sujets nouveaux sur la place publique et un ‘”être ensemble” nécessaire. En cela, il rétablit des tranchés opposant entre eux des acteurs qui se côtoyaient malgré leurs origines et leurs différences. Cet espace informel : écosystème, salon ou conversations, a créé des situations singulières, innovantes loin des tranchés et des silos qui minent notre pays. Je ne pensais pas possible que cette querelle puisse émerger alors que les protagonistes sont issus des mêmes cercles et des mêmes salons numériques humanistes. Dominique Boullier et certains commentateurs associés prennent le risque de réactiver ce mal français de la confrontation et des luttes de postures et de doctrine extrêmes. Alors que d’autres proposent la mise en place de démarche “transdiciplinaire” tells que les appelles Edgard Morin, Bruno Latour, Michel Serres ou Voltaire d’une autre manière.
En cela, il pointe la difficulté de rester ce que nous avons été en d’autres temps: critique, en quête de sens, humanisant le rôle des technologiques dans la diversité de nos rêves, de nos talents et surtout dans nos “propositions”; là où nous sommes le plus faibles, aujourd’hui.
Par cela, ce texte valide le “mal français”, cette incapacité que nous avons à “être ensemble” et à “proposer” pour défendre des dogmes. Ce texte révèle malgré lui nos faiblesses: confrontation, doxa, doctrine, poids des idéologies dans le champ des technologies et cette propension à “expliquer” et “comprendre” plutôt que “proposer”. C’est inquiétant, car en humaniste, je ne peux croire que les positions de Boullier et de Verdier et Collin soient si éloignés.

L’âge de la contribution, de la transformation doit-il être celui de la confrontation des blocs ? Le “parlement des choses” pour citer Bruno LAtour doit-il en être le tribunal ? À l’heure de la complexité et des défis qui nous attendent, ne rajoutons pas de la confrontation à la prédation. Ne nous tirons pas une balle dans le pied.

Faire Salon, malgré tout ?

PS: J’aime l’âge de la Multitude parce que’il est orthogonal, nous informe, propose et est optimiste dans son propos. Ces auteurs de par leurs origines, nous propose un éclairage qu’il faut également entendre….

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