La réforme du collège en cours tend à s’intéresser d’abord à l’éducation pour le « travail intellectuel ». Malgré de nombreuses tentatives, notre pays semble avoir une difficulté à reconnaître l’intelligence des métiers manuels des gens qui nous nourrissent, fabriquent nos maisons, nos ponts, nos machines et embellissent nos vies. Aristote disait : « Est doté de la main celui qui est doté de l’intelligence ». A partir de la Renaissance s’opère un clivage entre les artistes et les artisans ; les premiers pratiquent les arts, les seconds exercent des métiers. Aujourd’hui, on oppose trop facilement métiers manuels et intellectuels. Mais c’est méconnaître l’héritage du duc de La Rochefoucauld-Liancourt, qui fonda l’Ecole d’arts et métiers, ou, plus près de nous, de l’ingénieur, chercheur et entrepreneur Jean Prouvé, qui parraina la création de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (Ensci). Ces intelligences alternatives, pratiques et adaptatives que font s’épanouir les métiers manuels sont des producteurs de diversité, comme l’avaient compris les designers italiens des années 1970 qui y voyaient le vrai laboratoire de l’industrie. Nos atouts réels dans le luxe et les métiers de haute facture semblent le confirmer. A l’exemple du renouveau gastronomique parisien, dont on dit à Londres qu’il est « la seule chose intéressante à Paris ». Aujourd’hui, les Fab Labs reconvoquent cet esprit des arts et métiers. Mais, étonnamment, un seul lycée technique en France, le lycée Vauban de Brest, accueille un Fab Lab, Les Fabriques du Ponant. Un livre stimulant, « L’Eloge du carburateur » de Matthew B. Crawford, raconte le retour d’un « consultant » à une activité de réparation de moto. Cette apologie de « l’intelligence de la main » est pleine de réflexions intéressantes sur le sens et la valeur du travail. Souvenons-nous également de Diderot et d’Alembert qui ont milité dans l’« Encyclopédie » pour le développement de la science et des techniques et, à travers elles, ont cherché à reconstituer l’antique union de la tête et des mains. Portons attention à ces intelligences manuelles : nous ne pourrons pas nous en passer demain, parce qu’elles sont uniques.
Jean-Louis Frechin
Publication originale dans les Echos
26/05/2015 | Jean-Louis Frechin | Économie & société | Innovation | Tribune | LesEcho
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