Jean-Louis Frechin à L’appart SFR

Jean-Louis Frechin a été l’invité de le 25ème épisode de L’appart. Pour SFR et La Chaîne Techno, il a livré sa vision du design et il a illustré comment cette discipline se réinvente à l’heure de la révolution numérique.

 

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– Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau numéro de L’appart. L’appart, c’est toutes les deux semaines, vous le savez, un entretien avec un décideur lié à l’innovation

– Et aujourd’hui nous recevons un designer tombé dans la high tech, Jean-Louis Frechin.

La Chaîne Techno (LCT) : Jean-Louis Frechin bonjour, et merci d’avoir accepté notre invitation dans L’appart.

Jean-Louis Frechin (JLF) : Bonjour.

LCT : Alors, Jean-Louis Frechin, quel est le rapport entre la technologie et le design ?

JLF : C’est assez simple, le design, il est né au début du 20e siècle, de la révolution industrielle, enfin de la deuxième, c’est-à-dire la maîtrise de l’énergie, qui permettait de se déplacer, la mobilité, important, et puis de fabriquer les objets en série. Aujourd’hui, on vit une révolution toute aussi puissante et forte : la révolution numérique, comme on l’appelle. Donc le design doit évoluer, et même se réinventer totalement.

LCT : Et puis en plus, c’est un élément marketing, aujourd’hui, le design.

JLF : Alors les designers n’aiment pas le mot marketing, c’est-à-dire que notre objectif, c’est de faire des bons produits. Et les bons produits se vendent relativement facilement.

LCT : Mais le design, qu’est-ce que c’est ? Parce que c’est vrai qu’on associe toujours le design à la beauté d’un objet, mais c’est plus que ça, non ? Est-ce que ça fait partie aussi de l’ergonomie d’un objet quand on le prend en main, parce qu’il tombe bien en main, etc ? C’est aussi ça le design ou pas ?

JLF : Le design, c’est la quête éternelle de dégager le beau et le bien de la nécessité. C’est-à-dire que les choses sont plus que des usages et que des utilisations. Alors bien sûr, il faut que ce soit ergonomique, utilisable, etc. Mais dans les produits d’aujourd’hui, numériques, l’expérience est importante. Donc qu’est-ce qu’une belle expérience ? Qu’est-ce que l’esthétique de l’expérience ? Donc le design s’est un petit peu élargi, mais la question de la création et du beau et du bien, c’est-à-dire d’une forme d’esthétique et de morale, est vraiment importante.

LCT : Alors vous avez travaillé sur beaucoup de produits design. Vous avez aidé pas mal d’entreprises high tech françaises à fabriquer des produits. Vous travaillez avec Sculpteo, qu’on a reçu ici à L’appart, et vous travaillez également avec Parrot. Quel est l’objet high tech que vous avez conçu et dont vous êtes le plus fier ?

– Dites-nous un peu les produits que vous avez créés et qu’on a peut-être utilisés dans notre quotidien ?

JLF : Alors, il y a toute l’aventure de la fabrication d’objets uniques avec Sculpteo, c’est-à-dire finalement avec une application iPhone, le cloud, et une usine à Tarbes. On réinvente l’industrie…

LCT : Via l’impression 3D…

JLF : Via l’impression 3D, la fabrication à la demande, et on fait des objets uniques. Contrairement à l’industrie en série dont je parlais tout à l’heure, là on fait vraiment des objets uniques dans lesquels les gens peuvent modifier nos designs. Ça, c’est intéressant, parce qu’on crée les conditions d’une conversation avec les gens. Ça, ça m’intéresse, parce qu’il y a un modèle de laboratoire d’une petite industrie qui pourrait être le modèle de la grosse industrie de demain. Donc on l’a fait pour de vrai, on a eu un prix au CES, c’est une histoire incroyable… Donc c’est des histoires sympas. Mais j’aime aussi les projets qu’on peut faire pour des grands opérateurs, pour beaucoup plus de gens, à des échelles de millions de personnes.

LCT : C’est Apple qui a tout changé à ce niveau-là ?

JLF : Pour le grand public, et notamment les décideurs français, qui étaient pathologiquement en retard, oui, Apple a été un maître d’école exceptionnel. Il nous a aidé comme jamais.

LCT : Puisqu’on parle d’Apple, vous avez rencontré Jonathan Ive, qui est le gourou du design de chez Apple ?

JLF : Oui, j’ai eu la chance de rencontrer Johnny Ive, qui est une personne délicieuse, très modeste, et ses équipes. Dans ses équipes, il y a un designer qui a été formé en France, qui a été mon élève, donc ça a un peu favorisé la rencontre. C’est vraiment des gens qui ont un niveau de responsabilités dans l’entreprise comme aucune entreprise au monde ne le propose.

LCT : On leur a donné beaucoup de pouvoir.

JLF : Oui, on leur a donné beaucoup de pouvoir. Ils chargent sur beaucoup de responsabilités, et ils ont même hacké des systèmes industriels, ces fameuses machines fraisées comme des techniques aéronautiques, c’est vraiment venu des designers. C’est-à-dire que c’est beaucoup plus que la boîte, c’est aussi le processus de fabrication. Ils vont très, très loin. Et là, la bonne nouvelle, c’est qu’il a repris en main le logiciel, donc je pense qu’on va avoir des changements, certainement légers au début, mais profonds, pour avoir ce qu’était la force d’Apple mais qui a été un peu challengé ces derniers temps, c’est-à-dire une grande harmonie entre logiciel et matériel.

 

#TIMELINE

LCT : Alors Jean-Louis Frechin, votre timeline, quelles sont les grandes dates de votre parcours professionnel ?

JLF : J’ai rencontré un monsieur qui s’appelle Pierre Raiman, qui a créé Montparnasse Multimedia, donc l’aventure du CD-Rom, dans les vieux papys du numérique, dont je fais partie.

LCT : Ce n’est pas le Rayman qui joue dans les jeux vidéo ?

JLF : Donc, il y a l’école du Minitel, et il y a l’école du CD-Rom. Et les designers sont plutôt dans l’école des CD-Rom…

LCT : Il y a plus de possibilités graphiques qu’à l’époque, non

JLF : Le CD-Rom, c’était incroyable, comme le disait Pierre. Sa vision, c’était : belles technologies, beaux contenus – en France, on en a, le Louvre – et beaux designs, ce qui était nouveau. Et puis personne ne savait faire, donc moi, j’ai pris un peu le lead, puisque ce qui était intéressant, c’est qu’on pouvait faire. On fabriquait les objets, contrairement à mon expérience précédente, où c’est d’autres, dans des usines, qui fabriquent les choses. Donc on a inventé un métier, des organisations de travail, des méthodes un peu agiles.

LCT : Et puis après, votre agence de design, qui s’appelle NoDesign. Alors pourquoi NoDesign ?

JLF : Finalement, cette expérience de produits industriels et cette expérience numérique avec le CD-Rom, moi j’ai voulu la concentrer dans un seul objet, qui s’appelle NoDesign. Alors NoDesign, c’est deux raisons. D’abord ça permet qu’on me pose toujours la question, donc pour entrer en matière c’est pratique. En fait, j’aime bien le design qui ne se voit pas, le design un peu élégant et sobre. Mais NoDesign, ça veut dire surtout nouveaux objets ou nouvel objet, ces objets connectés, le Cadre Dia, les objets Withings, Sculpteo… C’est vraiment des objets du 21e siècle, donc c’est un peu ce qu’on voulait dire en 2000, je sentais que… Moi je parlais déjà de numérique, on parlait d’informatique, et le numérique allait pour moi reconfigurer, transformer toute la société, numériser le monde. Donc voilà, je voulais créer l’agence qui pouvait jouer là-dedans, et puis gagner sa vie honnêtement en s’amusant.


#
FAILS

LCT : Alors, quels sont vos fails ? Question traditionnelle, c’est-à-dire avez-vous trébuché à un moment ou à un autre ?

– Un designer trébuche sans doute…

JLF : Quand je faisais des CD-Rom, j’en ai fait un qui a été vraiment le plus important dans ce que je suis aujourd’hui, c’est-à-dire la compréhension des mécanismes d’innovation économique, etc., qui était un CD-Rom sur l’histoire de l’aviation racontée sous l’angle scientifique et technologique. J’avais toutes les entreprises du monde qui sont en ligne directe avec les créateurs. Boeing, c’est William Boeing, EADS, c’est Blériot, etc. Et ce CD a eu pas mal de prix, mais il ne s’est pas vendu. Donc ça a été une déception ; et j’y ai passé vraiment… Je l’ai monté, j’ai trouvé les financements, on l’a fait à trois quand c’était des équipes de quinze… Mais j’ai beaucoup appris, ça m’a permis après de travailler pour Renault et de comprendre très vite le génie de Renault et de les aider à avancer. Donc c’est un échec, mais ce n’est pas tout à fait un échec. Mais en tout cas, sur le moment, ça a été un peu dur.

 

#INNOVATION

LCT : Alors, Jean-Louis Frechin, on va parler un petit peu d’innovation. Quelles sont, ou quelle est, à votre avis, l’innovation qui va peut-être changer notre quotidien, ou celle qui vous fait « triper », on va dire ?

JLF : Les choses intéressantes qui m’intéressent en ce moment, c’est tous ces jeunes entrepreneurs de 30 ans qui travaillent sur l’économie du partage, genre la Ruche qui dit oui, KissKissBankBank, la Marmite volante, qui sont des gens qui font des écoles de commerce et qui n’ont pas envie de penser pour leur patron, qui créent des boîtes et qui réinventent l’art d’être ensemble par le Web, mais finalement c’est plus que le Web. Et ça, c’est vraiment extrêmement intéressant.

LCT : C’est du co net working poussé à l’extrême.

JLF : Tout à fait, avec un business model, qui permet qui de financer un projet, qui de faire travailler des agriculteurs de la région parisienne, qui d’organiser des restaurants éphémères pour évènements en mode un peu durable. C’est toujours avec beaucoup de valeur, mais de valeur autant économique que morale, que humaine ; et ça, ça m’intéresse.

LCT : Y compris le financement participatif, les sites comme Indiegogo, etc. ?

JLF : Tout à fait, Kickstarter, pour prendre le plus célèbre, qui est aujourd’hui un vrai moteur de financement…

LCT : C’est juste une mode ou ça va durer, ça ?

JLF : Je ne sais pas si c’est une mode, en tout cas ça challenge pas mal dans le monde du design et des artisans numériques le modèle : je vais aller voir un VC ou un business angel, etc. Quand le projet est bon, qu’il est prototypé, on peut lever de l’argent. Par exemple, en France, avec KissKissBankBank, vous avez deux façons de regarder le cinéma : vous allez voir ce qui se fait à la Fémis ou vous allez voir les productions qui sont financées sur le KissKissBankBank. Et le nouveau cinéma, je vous prie de croire qu’il est sur KissKiss, il n’est pas à la Fémis. Et ça, c’est vraiment, vraiment intéressant, ça veut dire qu’il y a une créativité en France qui est vraiment exceptionnelle. Et c’est pour ça que c’est plutôt les organisations…

LCT : Il y a un business aussi. C’est-à-dire qu’il y a la créativité, mais le business derrière…

JLF : Oui, mais par exemple, ces entrepreneurs, j’étais dans un colloque à l’ESCP, passionnant, j’ai été électrisé. Pour moi, les écoles de commerce, c’est des lieux un peu sérieux où on met des cravates à 20 ans. Il y en a un peu, mais il y en a plein qui ont envie de changer le monde en faisant des trucs qui ont de la valeur pour eux et pour les autres. Et ça, c’est stimulant parce que c’est eux qui vont être les leaders demain. Et si ça change dans les écoles de commerce, ça change certainement aussi dans les écoles d’ingénieurs. Donc à la fin, le mélange de tout ça, ça donne un peu d’espoir. Enfin moi, je suis un optimiste, mais ça, pour moi, c’est les avatars d’une sorte de nouvel espace commun, pour ne pas dire la nouvelle France, et c’est vraiment enthousiasmant. C’est vraiment enthousiasmant.

 

#PORTRAIT_DE_GEEK

LCT : Alors Jean-Louis Frechin, quel genre de geek êtes-vous ? Votre smartphone, c’est quoi ?

– Allez, sortez-nous ce que vous avez dans la poche.

– C’est l’instant de vérité.

JLF : Il est dans mon manteau là-bas. C’est un iPhone avec une coque Sculpteo, la coque Bubbles, que j’aime beaucoup.

LCT : Vous ne faites pas partie de ces gens-là, qui disent que par exemple mettre une coque sur un iPhone, qui est déjà un pur produit de design, c’est un peu une hérésie ?

JLF : Si, bien sûr, mais il y a un truc extrêmement important, c’est que les gens veulent mettre un peu d’eux-mêmes dans les objets qu’ils sont supposés posséder. On décide souvent beaucoup à leur place…

LCT : Ça ne sert plus à rien alors, de designer un produit ?

JLF : Si, il y a plusieurs façons. Soit vous essayez comme des grands Coréens de courir après tout le monde en faisant des gammes de 300 modèles, et vous êtes sûr de toucher tout le monde ; soit, comme Apple, vous faites un produit et vous dites : c’est good design, etc. Entre les deux, de la personnalisation, un peu de protection. Quand vous partez en bateau, votre iPhone, il faut quand même un peu l’aider. Donc moi je ne suis pas radical, oui, l’iPhone est beau, mais c’est bien aussi de le protéger. C’est du verre, c’est fragile, tant que les accessoires sont aussi intelligents que le produit dont on parle…

LCT : J’ai senti dans votre analyse que ce qui venait de la Corée n’était pas au niveau d’Apple. Vous trouvez justement que les Samsung, les LG, enfin tous ces autres grands Coréens sont en retard au niveau design par rapport à Apple ? Ne sont-ils pas justement en train de rattraper leur retard ?

JLF : Le design, c’est finalement la symbolique des objets, c’est-à-dire que c’est ce qui définit un espace d’appartenance d’une communauté de gens. Et c’est très important. Si je vous dis la 4 CV, vous avez tout de suite des souvenirs ; ou la DS. Et il est important, dans la profusion d’objets d’aujourd’hui, d’avoir des objets qui font système. L’iPhone en fait partie. Jusqu’à preuve du contraire, les objets Samsung pas encore. Samsung a été très bon, ils ont à leur tête un type qui vient de la direction créative. Mais quand ils se sont attaqués à la téléphonie, qui n’est qu’une division parmi les autres, ils se sont mis dans un mode un peu « me too », c’est-à-dire de leurs débuts. Alors que dans la télévision, ils sont leaders, ils ont dépassé Sony. Aujourd’hui, c’est la référence, et j’aime beaucoup cet exemple des télés Samsung. Sur le téléphone, ils courent après quelqu’un, ça, c’est moins intéressant, c’est tout.

LCT : Côté réseaux sociaux, vous êtes Facebook, Twitter ?

JLF : Je suis résolument Twitter. Je ne sais plus où j’ai lu ça, mais sur Facebook on est avec des gens qu’on connaît à qui on n’a rien à dire. Sur Twitter on est avec des gens qu’on ne connaît pas et avec qui on a plein à partager.

LCT : C’est tellement vrai.

JLF : Et Twitter, c’est un outil qu’on a connecté à des objets, qui a des API, donc qui est une plateforme ; et il y a beaucoup de rencontres, de conversations qui sont possibles, même des discussions avec des ministres parfois, avec Fleur Pellerin ou avec Arnaud Montebourg, ou avec des grands patrons, des gens qui… Donc c’est un espace de conversation, c’est un bistrot que j’aime beaucoup et que je fréquente beaucoup.

LCT : Merci Jean-Louis Frechin.

JLF : Mais merci à vous.

LCT : Merci d’avoir accepté notre invitation dans L’appart. Cet appart est terminé. On se retrouve bien sûr dans deux semaines. Portez-vous bien.

– Salut à tous.

Source: L’appart SFR

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