Publication proposé au Plan Urbanisme Construction Aménagement (PUCA) lors du Grand Atelier Design logement qui s’est déroulé pendant la Biennale de Saint Etienne, les 25 et 26 novembre 2010.
Le champ exploré ici concerne l’observation, l’exploration et l’émergence de nouveaux usages et pratiques permises par les technologies de l’information et de la communication dans l’habitat. Il tente également de cerner les rôles auxquels le design pourrait prétendre dans les enjeux que ces technologies pointent.
Les objets, les technologies issues de la révolution industrielle, et les pratiques qui en découlent, provoquèrent – autant qu’elles y ont répondu – des situations inédites à l’origine de changements des modes de vie et des façons d’habiter. Dans l’habitat, à partir du XIXe siècle, les vieux objets décoratifs ou fonctionnels du confort quotidien cohabiteront désormais avec des objets technologiques, liés à des services complexes et parfois envahissants de fourniture d’énergie, de distribution d’eau. Pour autant, l’arrivée de ces objets dans les foyers – dont il faudra trouver la place et le statut – ne se fera pas aussi facilement que leur omniprésence pourrait, aujourd’hui, le laisser croire. Pour que tous ces objets soient actifs, il faudra que se réalise le projet ambitieux d’électrification de tous les logements. L’histoire et la nature de l’électricité s’inscrivent dans ce que nous appelons «l’âge de la commande», c’est-à-dire l’ouverture et la fermeture des circuits électriques par des interrupteurs. Ces interfaces techniques sont la partie visible d’un système complexe dissimulé au maximum (à l’image des compteurs électriques) au profit d’un usage simple, confortable, évident.
I. De la machine à habiter à un écosystème d’interaction
Le Corbusier a défini l’acte de création architecturale et la relation à l’objet, en ces termes : «To create architecture is to put in order. Put what in order ? Function and objects.» Ainsi l’architecte, dans son analyse fonctionnaliste du logement et dans ses propositions, ne sépare pas le bâti des objets et intègre le mobilier dans la conception. La maison est une machine à habiter. Cette assertion est-elle à repenser alors que la nature des objets et services dédiés à l’habitat est bouleversée par les technologies de l’information et de la communication, les possibles ouverts par les technologies de l’Internet (IP: Internet protocole) et l’industrie des services ? Il s’agit de proposer des objets et des pratiques qui provoquent autant qu’ils répondent à des situations inédites, définissent des modes d’interaction différents et forment des représentations simples et compréhensibles des technologies. L’un des enjeux importants dans la conception de nouveaux objets est de parvenir à maintenir un regard sensible et contextuel qui permette à chacun de vivre et d’habiter le monde contemporain.
Les systèmes et les services sont en position centrale dans les nouveaux possibles de la technique : les services détrônent les objets, les usages se substituent à la possession, les flux prennent la valeur de la matière. Des services numériques se substituent aux pratiques conditionnées par un face à face (la téléconférence prend le pas sur le déplacement). Il pourrait être aisé de faire de ce constat contradictoire, un enjeu de réduction de la matière. Puisqu’il y a trop d’objets, on nous promet leur possible disparition grâce aux ordinateurs, puis une disparition de l’ordinateur-même dans un gigantesque réseau invisible omniprésent qui selon les mots de Jacques-François Marchandise « se fait encore sur le mode de l’extra-ordinaire, à la fois comique et angoissant [1] ». On parle ainsi désormais d’environnement intelligent, traduction maladroite d’un terme anglo-saxon, à prendre dans le sens d’information ou d’informé. Les immeubles sont donc intelligents quand on les équipe de câbles de réseaux Ethernet, de bus d’information, permettant une meilleure gestion de l’énergie, des communications et d’accès à l’Internet, etc.
La vie quotidienne est modifiée par les possibilités des réseaux numériques et par les relations que celles-ci provoquent. Grâce à la convergence numérique – c’est-à-dire le traitement indifférencié des contenus et la gestion du stockage – tous les objets serviciels que nous connaissons (chaîne hi-fi, télévision, téléphone, radio) sont appelés à être remplacés et à gérer les interactions avec leur propre environnement. L’accélération de la diffusion de ces équipements dans les foyers se fait, d’une part sous la pression des grands opérateurs de services (Orange, SFR, BT, EDF, Poweo, La Poste, distributeur d’eau, câblo-opérateur, etc.) et d’autre part, grâce aux qualités plastiques (accessibilité, adoption) de l’informatique (Internet, Linux, open source, etc.). Les pratiques et les mutations que ces changements construisent, redéfinissent la façon dont nous habitons et dont nous pourrons habiter : nouvelles formes de nomadisme domestique, créations et diffusions de contenus remontants, créations de situations nouvelles adaptées et définis par les individus, partages d’informations, e-fluidification, etc. On peut, à titre d’illustration, citer le réseau Internet (IP) qui permet la dissémination du traditionnel flux télévisuel sur une multitude d’écrans disponibles à tout moment et dans toutes les pièces du logement ou les expériences de partage d’information (maResidence.fr).
L’architecture, qui jusqu’alors définissait les dispositifs d’habitation dessinant les contours de l’habiter et de la vie, est dorénavant dans l’obligation d’intégrer dans le bâti ces flux, ces situations de vie et ces usages émergents : ubiquité informationnelle et mobilités domestiques libèrent, en quelque sorte, l’architecture de certaines infrastructures et traduisent la polyvalence spatiale chère à Ludwig Mies van der Rohe. La machine à habiter est littéralement délogée par de véritables écosystèmes d’interaction (relationnelle) et de communication. Nous pourrions ainsi modestement modifier la phrase de Le Corbusier «To create architecture is to put in interaction in order. Put what in interaction? Function, objects, services, uses and practices for people. »
A. Le numérique dans l’habitat : la voie classique
Une concurrence et des luttes industrielles se jouent sur les offres d’accès, les offres de services, d’interaction et de contenu pour intégrer les foyers. Concurrence si violente que certains observateurs qualifient ce marché de «guerre des foyers ».
> Le premier réflexe consiste à répondre avec les outils classiques des politiques publiques et industrielles : infrastructures, administration, régulation, tarification, taxation, délégation des industriels ou mise en place de grands investissements au service du public (plan câble, plan calcul, plan fibre, etc.). Ces approches topdown produisent des résultats, mais elles sont souvent conflictuelles, longues, coûteuses et difficiles à mettre en œuvre alors que les ressources publiques se raréfient. Elles sont par ailleurs peu centrées sur les usages et les pratiques des individus.
> On peut aussi s’en remettre aux évolutions techniques et scientifiques, mais là encore, les résultats sont longs à venir, insuffisants, et les visions sont parfois contestables (machine to machine, lobby, technopush). Ces évolutions sont inscrites dans l’approche «système infrastructure utilitaire» à la française et sont très peu centrées sur des usages humains, avérés et sensibles.
Ces propositions présentent un risque d’incompréhension et de perte de contrôle des technologies, pourtant supposées nous aider à mieux vivre. Celles-ci sont souvent propriétaires et peu opérables alors que l’Internet est naturellement interopérable (compteur Linky EDF, LiveBox Orange, Domotique propriétaire, etc.).
B. Le numérique dans l’habitat : la voie du désir
Ces nouvelles situations questionnent le design et posent le défi de l’invention de nouvelles matérialités, de nouvelles pratiques, de nouvelles symboliques, de nouvelles esthétiques : des nouvelles poésies du quotidien qui dessinent des représentations compréhensibles, des possibles permis par les technologiques numériques dans le logement. Il semble important de proposer d’autres scénarios, ouverts et légers qui, dans un premier temps, incarneront et représenteront clairement des services numériques jusqu’alors souvent invisibles et incompréhensibles. Il y a donc un enjeu de lisibilité des offres et services. Il est également primordial que ces services et offres soient cultivables, bricolables et contrôlables (projet Mininet de services numériques d’immeuble). C’est-à-dire qu’ils relèvent d’une culture d’usage ascendante (bootom up). En effet, il est vital de rendre visibles et intelligibles les dispositifs qui nous entoureront afin de permettre leur appropriation et leur manipulation, configuration seule apte à inventer d’autres pratiques.
De nombreux enjeux sont soulevés par cette question et il devient alors incontournable de construire des dispositifs avec et pour ceux à qui ils sont destinés, à partir des nouvelles façons de vivre et d’exister. Ainsi répondre aux défis énergétiques : agir pour une régulation maîtrisée et concertée de l’énergie, œuvrer à sa production locale, engager une nouvelle relation avec les opérateurs d’énergie grâce aux systèmes numériques. Il apparaît aussi primordial d’inscrire les technologies numériques dans les contextes intimes, affectifs et spatiaux de l’habitat, ainsi que dans l’histoire et la culture de ce qui fait « foyer ». C’est-à-dire métisser les techniques et les usages, plutôt que revendiquer une vision spectaculaire et naïve d’un progrès salvateur reposant uniquement sur les technologies. « Passer ainsi de l’âge de la commande à l’âge de l’interaction. »
Les projets présentés ici proposent justement un métissage des nouvelles technologies relationnelles et d’objets dans la maison : objets utilitaires, mobiliers, éléments de décoration, de confort, d’éclairage, objets de tabletterie et de représentations nouvelles, etc. Ces objets-interfaces sont des matérialisations discrètes, douces, émotionnelles et diffusent des potentiels offerts par les technologies de l’information et de la communication. Les NéoObjets, supports, émetteurs ou récepteurs de services en ligne, se manipulent par des dispositifs visibles et réels et par des interactions naturelles et amicales.
II. Un nouveau design
Une telle approche constitue une proposition autant qu’un enjeu d’innovation pour les créateurs de services, pour les industriels des technologies, pour les acteurs du logement, aussi et surtout pour ceux qui y habitent. Les démarches présentées proposeront un regard sensible sur les manières d’utiliser les technologies pour vivre et habiter. Le sujet ici n’est donc pas tant les objets en eux-mêmes, mais ce que nous en faisons, comment nous les utilisons et pourquoi nous les concevons. Les enjeux sont nouveaux, le contexte a changé, autant de situations qui obligent à inventer des situations préférables et la manière dont nous souhaitons les habiter.
Un objet est perçu par les sens. Cette question du sens est un axe majeur de réflexion dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication, domaine dans lequel la forme du tout et les usages possibles ne sont pas encore fixés, en cours d’élaboration.
Il est confortable de placer le design, comme une prolongation fascinante, amusante ou poétique de l’histoire des arts décoratifs, trublion d’un monde pragmatique. Il est également habituel de le considérer comme une extension dégradée de l’architecture ou comme le champ formaliste et applicatif d’une approche utilitaire qui entend répondre à la question des besoins. Il est aussi commode de le considérer plus classiquement comme la main talentueuse du marché. Le design – c’est-à-dire l’attention aux besoins, au quotidien et au désir – est peut-être plus que cela. Il s’applique à aborder et à résoudre de façon adéquate les situations nouvelles et complexes de son époque – comme le Bauhaus a su inventer l’esthétique des possibles de la sienne. Les contextes ont cependant profondément changé. En effet, doit-on encore opposer la fascination de l’art à l’utilité de la technique, quand la technique n’est plus un enjeu en tant que tel et que le progrès a perdu son innocence ? Doit-on opposer la science à l’art, quand nous confondons « connaître », « comprendre », « savoir » et « proposer » dans nos champs spécifiques architecture et design ? Doit-on opposer l’architecture au design quand les architectes ont, semble-t-il, abandonné les usages au profit de la forme et à l’universalité de leur pratique ?
Le poids de la recherche a bouleversé les disciplines créatives et artistiques. Elle tente de collecter, de connaître et de comprendre les erreurs du passé, sans proposition de remède, et fait parfois oublier la puissance et la force de la culture du projet, méthodologie pratique, intégratrice et transdisciplinaire qui forgent des propositions appréhendables. Doit-on, comme dans l’immature Internet, scientificiser et quasi médicaliser le facteur humain ? Ou plutôt expérimenter des possibles, inventer des actions transdisciplinaires et laisser une place à la vie et aux usages ?
La convergence numérique redéfinit ainsi ce que nous faisons, opérons, gérons, écoutons, produisons, communiquons, sécurisons et regardons dans nos maisons. Ces fonctions connectées à des réseaux proposent une grande variété de services. On nous promet, désormais, pour demain un environnement intelligent pour la maison, grâce à l’omniprésence de réseaux filaires et sans fil, secondés par un débit de plus en plus rapide. Avec ce réseau nouveau, les appareils à venir s’interconnecteront pour former un gigantesque Internet des objets. D’aucuns proposent des objets spécifiques, relativement intrusifs, visibles, marchands et complexes ; d’autres tentent à l’inverse d’enfouir machines et réseaux pour fabriquer des espaces connectés où plus rien de ce qui se passe ne serait perceptible (informatique pervasive). Ces propositions technologiques intègrent assez peu la sensibilité humaine et la nature des objets et des logements.
A. Des nouveaux objets : les NéoObjets
Habituellement, un objet, c’est ce qui se présente à la vue ou à l’esprit et qui affecte les sens. Les objets sont désormais régis par des caractéristiques spécifiques qui entraînent et créent de nouveaux paradigmes dans la relation de l’individu à celui-ci, et de l’objet à la technique. Nous proposons de regrouper l’ensemble des produits, des services ou des espaces utilisant les TIC, et par extension les BNIC, sous la métaphore de NéoObjet ou d’HyperObjet. Le NéoObjet élargit le champ traditionnel des objets en s’hybridant avec les notions de service, d’information, de connaissance, d’expérience, de culture, de diffusion et de production. Les NéoObjets reportent l’usage et la valeur ajoutée au-dehors de la matière et du périmètre physique de l’objet. Ils définissent des espaces de valeur et de transformation en offrant une primauté à l’usage sur la notion classique de possession, proposent une partition entre les fonctions visibles et les fonctions perçues de services communicationnels. Ils sont issus d’une situation (ou d’un hypercontexte) qui met en jonction le temps, l’espace et des événements. Le courant moderne a construit des propositions sur un modèle de relation entre les formes et les fonctions dans une vision progressiste, humaine et d’espérance. Le postmodernisme a imposé la primauté du signe et de l’individu sur le projet collectif. Quelles vont être les desseins, les représentations, les symboliques et l’esthétique des NéoObjets ?
La crise de la conception des objets contemporains liée à la fin de l’hyperconsommation, telle que nous l’avons connue pendant quarante ans, pose les questions des formes nouvelles de conception, de la place de l’utilisateur et de la finalité des produits/services. Sommes-nous condamnés à concevoir, à partir de techniques, des usages préfinis ? Ou au contraire, une voie est-elle ouverte qui permet de définir des produits où l’utilisateur trouve une place ? Comment lorsqu’on propose un objet manufacturé passe-t-on d’une intention utilisatrice à des intentions fabricatrices ? Quelle place donner aux utilisateurs qui ne soit pas réductrice à la position de consommateur ? Comment concevoir des systèmes, des services, des logements ou des objets adoptables ? Quelle est la condition d’existence d’objets émancipateurs? La plasticité et les possibilités du numérique ont permis le passage, comme l’énonce Bernard Stiegler, de la notion d’usage à celle de pratique. Elles se traduisent dans le monde réel par différentes initiatives : bricolage, Faites-le vous-même, système D, Do it yourself, autant de situations qui remettent au centre du protocole l’amateur. L’éthique et la culture hacker (Peka Himmanen) ont révélé la nécessité d’ouverture, de passion et de désir pour innover. Le bricolage déborde ainsi sur les objets et la fabrication permet à chacun – professionnel ou amateur – de satisfaire son goût croissant pour le sur-mesure. Make Magazine se veut le Popular Mechanics ou le système D du XXIe siècle : « Le premier magasine consacré aux projets numériques, aux bricolages et à l’inspiration ».
B. L’objet est interface : l’interface est l’objet
L’interface et les interactions concentrent les enjeux de relation entre la machine et l’homme : comment passer de l’âge de la commande des interrupteurs à la culture de l’interaction des ordinateurs ou permises par les nouvelles interfaces ? L’ultramobilité des objets communiquant, les multiplications des écrans bouleversent la topologie, l’identité et l’usage des objets. Les interfaces et spécifiquement les interfaces visuelles participent à la perception globale de la finalité des objets numériques. Ainsi « l’interface devient le produit et l’objet du service ». Elle n’est plus un espace de commande utilisable, elle est la représentation du service, son usage et sa finalité symbolique, cognitive et esthétique. On ne peut pas séparer la problématique de conception d’une interface, de celle de la relation entre l’homme et le dispositif technique mis en place ainsi que de celle de la création de représentations et de formes symboliques. L’image d’une interface exprime la finalité du service et son attractivité. Les interfaces des objets communicants devenues omniprésentes sont la première réalité de l’Internet des objets : omniprésentes, plastiques dans les formes, elles sont appelées à s’émanciper encore davantage. L’informatique discrète se diffuse désormais dans des objets, des espaces et dans le corps humain. La radicalité technologique qui se profile à l’horizon est même en mesure de rendre obsolète l’interface au profit d’une technologie invisible, banalisée et omniprésente.
> Des objets révélateurs/des objets capteurs
Les objets capteurs révèlent ce que l’on ne voit pas, ils rendent l’invisible visible, laissent des traces et sont localisables ; ils captent, produisent et échangent en continu des informations sur l’environnement et sur eux-mêmes. Il ne s’agit pas ici de rendre les objets intelligents, mais de produire et faire circuler facilement une information, relativement standardisée, à partir de laquelle pourra émerger des usages et des schémas inattendus : voir ce que l’on ne voit pas et révéler un contexte. Ce sont les objets bavards (blogjets, « objet qui blogue » selon la courte définition de Julian Bleeker) appelés ainsi parce qu’ils laissent des traces et sont localisables. À titre d’exemple, la Montre verte (Ivo Flammer/Fing) est équipée de moyens de communication : des balises GPS agissent pendant les déplacements comme des capteurs environnementaux mesurant le niveau de pollution des villes – et mettent à disposition des données dont pourraient se servir tout à la fois les services municipaux, les entreprises et les populations. Ce type d’objet – actif sans être pour autant autonome et menaçant – pourrait prendre une importance nouvelle dans les vies de chacun.
> Des NéoObjets verts
Le numérique permet également, dans une vision holistique, d’optimiser la gestion environnementale de l’habitat autour de ce que l’on appelle les GreenIT et le Green Design. Il contribue à la bonne gestion de l’empreinte énergétique et écologique de l’habitat : pilotage de la demande, automatisation et optimisation, maîtrise inter régulée de l’efficience énergétique, mesure et contrôle des systèmes logistiques, déchets, eau, énergie, tarification, taxation contextuelle comme la PoweoBox. Toutes ces fonctions prises en charge par le numérique permettent aussi l’organisation de marchés complexes tels que les droits à polluer et les carbon offsets des immeubles. Ce sont ces technologies qui autorisent le passage du produit au service (e-substitution), grâce à la dématérialisation relative des produits et des déplacements…
> Un objet social
L’intelligence éventuellement partagée des systèmes centrés sur le commun peuvent également construire et représenter des organisations sociales dans les immeubles, habitats individuels et lotissements. Ces nouveaux agencements créatifs influenceront les organisations collectives, les échanges locaux, la mutualisation et le partage de ressources (smart grids, mobilité douce, gestion des déchets, etc.). Les nouveaux services vont également permettre la mémoire des bâtiments et des lieux pour des activités optimisées de gestion, de réparation, d’entretien. Enfin, les dispositifs numériques contribuent à révéler et à optimiser l’organisation du débat social et local, la participation citoyenne (forage numérique rive droite de Bordeaux communauté d’agglomération). Le design concevra alors des représentations adoptables, personnelles et sensibles sur les conséquences collectives des actions de chacun (par exemple, les projets Ecopet, Fixmysrteet, Cousurfing, MyResedidene.fr, etc.).
Conclusion. Le sujet est l’objet
La société de l’information et l’apparition de l’ordinateur, objet-outil par excellence, a organisé un système d’objets à forte dimension d’autonomisation et de responsabilisation (empowerment). Cette possibilité a rendu l’engagement des utilisateurs réel et créatif (cf. le concept de crowdsourcing). On nomme cette méthode de gestion et de production « l’économie sociale ». L’empowerment est le processus d’acquisition d’un pouvoir : pouvoir de travailler, de construire, de gagner son pain, de décider de son destin social en respectant les besoins et termes de la société. Inscrit dans cette ambition, le web est passé en mode écriture. Des interfaces comme celle de la Wii, avec un feedback haptique, révolutionnent non seulement la façon de jouer, mais aussi l’apprentissage, à l’instar du Mécano ou du Lego. Cette participation physique s’inscrit au cœur du style d’interaction des interfaces d’aujourd’hui où l’information devient un objet manipulable et configurable. Après le web 2.0, voici donc l’objet 2.0 ou l’habitat 2.0, dont la prouesse est de laisser liberté et autonomie aux hommes pour qu’ils puissent assumer leur rôle dans la construction de leur existence. « Nous croyons nous affranchir : ils [les objets] nous assujettissent. Il faudrait, en somme, les inventer pour inviter à échanger. Alors, peut-être, et pourvu qu’ils deviennent de tels médiateurs, les objets pourraient-ils, à nouveau, servir. »
Les questions posées par les NéoObjets ouvrent des espaces de réflexion et de création qui sont des opportunités fortes pour la société, le design, l’art, la conception, la création et les hommes. La naissance de cet espace de systèmes, d’architectures informationnelles et communicationnelles redéfinit le design à partir de propositions et d’esthétique nouvelles, reconfigure les pratiques sociales. L’homme devrait, parmi les machines, être à la fois coordinateur et inventeur permanent de nouveaux objets, conçus pour être des systèmes et qui nous serviraient plutôt qu’ils ne nous asserviraient (Pierre-Damien Huyghe).
L’époque contemporaine renoue avec les conditions historiques d’émergence du design et avec la manière dont le Bauhaus a forgé la culture européenne d’un design humaniste. Il s’agit donc aujourd’hui d’interroger l’utilisation sociale, économique, politique et partagée des opportunités technologiques et les manières dont nous souhaitons les utiliser. Il est également souhaitable d’en proposer un acteur : le design. L’objet (produits, services, situations) est aujourd’hui plus qu’hier au-delà de la surface. L’enjeu porte sur les formes de la modernité que nous souhaitons habiter.
Le design n’est-il pas le lien manquant entre de multiples acteurs : l’industrie, les différentes disciplines impliquées dans cette évolution, les technologies, les individus et leurs pratiques ? C’est la façon dont nous avons conduit ces propositions qui vous sont présentées ici. Il ne s’agit pas ici de théorie, mais de montrer des projets porteurs d’une démarche d’innovation ouverte et intégratrice par le design. La création impliquée, l’intention, l’intuition, l’expérimentation, la transdisciplinarité, ne sont-ils pas les nouveaux paramètres de ce qui pourrait nous guider et nous inspirer pour ré-enchanter un modèle d’innovation et d’invention du futur ? Demain est aujourd’hui. Un confort moderne numérique, humain et désirable ? Le design en est l’interface.
[1]. Jean-François Marchandise, « Observer les changements ordinaires», 1er octobre 2010, www.Internetactu.net.
[2].Jean-Paul Robert, Carte blanche à Jean-Louis Frechin, VIA, 2008.
Bibliographie
Ouvrages
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Neil Gershenfeld, FAB: The Coming Revolution on Your Desktop. From Personal Computers to Personal Fabrication, New York, Basic Books, 2005.
Siegfried Giedon, Espace, temps, architecture, trad. Irmeline Lebeer et Françoise-Marie Rosset, Paris, Denoël, 1990.
Raymond Guidot, Histoire du design de 1940 à nos jours, Paris, Hazan, « Beaux Arts », 2004.
Pierre Damien Huygues (s.l.d.), L’Art au temps des appareils, Paris, L’Harmattan, 2005.
Pierre Damien Huygues, « Design et existence », in Flamand Brigitte (s.l.d.), Le Design essais sur des théories et des pratiques, Paris, Institut français de la mode/Regard, 2006.
Abraham Moles, Théorie des objets, Paris, Éditions Universitaires, 1972.
Abraham Moles, Théorie de l’information et perception esthétique, Paris, Denoël, 1973.
Abraham Moles et Élisabeth Rohmer, Les Sciences de l’imprécis, Paris, Seuil, 1990.
Robert Plotkin, The Genie in the Machine, Stanford, Stanford University Press, 2009.
Jeremy Rifkin, L’Âge de l’accès, trad. Marc Saint-Upéry, Paris, La Découverte, « La découverte / poche », 2002.
Bernard Stiegler, Mécréances et Discrédits, t. 2, Paris, Galilée, 2006.
Éric Von Hippel, Democratizing Innovation, Cambridge, MIT Press, 2005.
Jean-Louis Weissberg (s.l.d.), Les Chemins du virtuel, Cahiers du CCI, Centre Georges Pompidou, Flammarion, Paris, 1989.
Ressources internet
Programme financé par l’Union Européenne : disappearing-computer.net
Plate-forme de conception : www.platform21.nl.
Site internet du magasin Make : http://makezine.com.
Site de partage de création numérique : www.thingiverse.com.
Site de partage de création numérique : bricolabs.net.
Site des designers Jean-Louis Frechin et Urios Petrevski : < www.nodesignlab.net..
Je remercie chaleureusement la Cité du Design, Marie-Haude Caraes, Virginie Thomas et le PUCA pour ces échanges riches et leur accueil.
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