Les nouvelles intelligences artificielles redessinent en profondeur notre utilisation des logiciels en passant d’une logique de moyens (« comment faire ? ») à une logique de fins (« que faire ? »), explique Jean-Louis Frechin.
Le développement fulgurant des grands modèles de langage comme ChatGPT, Claude ou Midjourney a subjugué ou effrayé les utilisateurs et ouvert de nombreuses interrogations. En quelques phrases, chacun peut prétendre devenir graphiste, rédacteur ou développeur, sans compétences particulières. Le rêve des pionniers de l’informatique qui voulaient rendre accessible la programmation des machines est devenu réalité.
Mais les conséquences vont bien au-delà de la production d’image « à la manière de ». Ces IA redessinent en profondeur le paradigme même des logiciels et de leurs interfaces tel que nous le connaissions jusque-là et transforment les relations des hommes avec les machines. Fini les interfaces graphiques complexes conçues pour organiser et enchaîner une succession de fonction pour détourer une image, faire un bilan des tendances émergentes à partir de données, ou modéliser un objet en 3D.
Une logique de fins
Avec l’IA, le « nouveau logiciel » s’affranchit des interfaces : il est l’interface. Ces technologies rendent possibles de nouvelles interactions simplifiées, fluides et adaptatives. Cette évolution recentre radicalement le logiciel sur la réalisation d’objectif et de mission complète, et non plus sur la gestion de fonctions. On passe ainsi de la modélisation en 3D à la génération d’images. Il est en effet plus facile de demander « dessine-moi un mouton » que de le modéliser en 3D sur Rhino. D’autres fonctionnalités, plus discrètes, illustrent ces nouvelles interactions : dans le logiciel photo d’Apple, par exemple, si vous cliquez sur un objet présent dans l’une de vos photos, il peut être aussitôt détouré et copiable. Si vous sélectionnez le texte d’une photo, il est copié et devient éditable.
On est passé d’une logique de moyens (« comment faire ? ») à une logique de fins (« que faire ? »). On pilotera des ambitions plus que des fonctions. La machine se charge elle-même de les réaliser. Ce paradigme impose de concevoir des scénographies ouvertes, où tout devient activable dans un potentiel d’usage déterminé, plutôt que des interfaces figées basées sur des scénarios linéaires tels que nous les faisons aujourd’hui. Ces nouvelles interfaces seront multimodales, adaptatives et réactives. Leurs formes seront vocales, visuelles ou matérielles.
Un enjeu majeur pour le design
Le design des nouvelles interfaces relationnelles est un enjeu et une occasion à saisir. Les applications apparaissent timidement, qu’il s’agisse des assistants personnels comme l’assistant Notion, Co-Pilot adossé à la suite de Microsoft 365, Firefly dans la Créative Suite Adobe ou en France les logiciels des drones Parrot, et les solutions de maintenance d’Outflier qui gagnent en autonomie et efficacité.
Le monde qui se dessine est celui d’un accompagnement d’humains par les machines. Ces changements soulèvent des questionnements sur la fiabilité de ces nouvelles interfaces, leurs explicabilité ou des défis éthiques et sociaux majeurs. Mais en facilitant les interactions avec les solutions logicielles les plus complexes, les nouvelles interfaces animées par des IA sont porteuses de promesses et ouvrent la voie à une nouvelle ère des relations homme-machine. C’est un enjeu majeur pour le design, mais surtout pour les concepteurs de service et de produits.
Jean-Louis Frechin est directeur de l’agence Nodesign.
9 oct. 2023 | Jean-Louis Frechin | Économie & société, science & prospective | Innovation | Tribune |Publication originale dans les Echos