Il n’y a pas d’usages sans formes

Depuis quelques années, les complexités initiales du numérique ont remis au centre la notion d’usage dans la conception des productions humaines. L’utilisateur et le client sont au centre de toutes les attentions. En conséquence, on innove désormais par et avec les gens, plutôt que pour eux.

Cette révolution participative a bouleversé les pratiques de conception. Ont ainsi émergé des champs d’action renouvelés : services, design des politiques publiques, design social, design d’intérêt général et même design de l’éthique notamment autour de questions urbaines, de la sphère publique ou entrepreneuriale. Le design est propulsé comme expert des usages et des expérimentations pour « changer le monde ».

Expérimentations urbaines

Dans ces approches centrées sur l’utilisateur, on trouve des récits, des fictions, des conférences, des ateliers participatifs, des preuves de concepts, et des prototypes où les intentions valent souvent plus que les résultats, à l’exemple de certaines expérimentations urbaines récentes qui se sont révélées peu esthétiques.

L’innovation d’usage a rapproché le design des sciences politiques, des sciences sociales mais l’a paradoxalement éloigné de l’art. Ainsi, le « design des usages » est alors moins un représentant du design que de ses bonnes intentions. Le design formel est souvent opposé au design d’usage, l’un étant considéré comme futile, l’autre comme utile. C’est une erreur ! Un objet se résume-t-il à un usage ? Peut-on ne pas avoir de forme ? La primauté des usages et de l’expérimentation peut-elle exonérer les designers de l’essence de leur discipline : la synthèse formelle d’un dessein, entre rationalité et sensibilité, par le dessin.

Nouvelle esthétique

Dans un monde qui se cherche, nous avons plus que jamais besoin des synthèses par la forme pour incarner, simplifier et nous approprier les propositions qui nous sont faites. La forme n’est pas qu’une affaire de goût et de couleurs, mais de cohérence avec l’intention des projets dans un contexte donné. Le premier point de contact avec les usagers.

Si nous arrivons à inventer les esthétiques de l’expérimentation, de la participation, et de l’usage alors nous transformerons ces ambitions humanistes en production adaptées et adoptables. Peut-être alors les designers ne changeront-ils pas le monde, mais le rendront plus désirable et habitable.

 

Publication originale dans les Echos
06/03/2021 | Jean-Louis Frechin | Économie & société | Innovation | Tribune |