Design de la relation avec le publique

“À quoi bon simplifier l’administration en ligne sans s’attaquer d’abord à la complexité administrative ?”

Certaines organisations publiques restent “trop centrées sur leurs prérogatives et leur autorité plutôt que sur les citoyens”, pour lequel les services publics en ligne ne font parfois que masquer la complexité administrative sous-jacente. #design

Tribune parue dans Acteurs Publics le 22/02/2023

La simplification et la numérisation de l’administration publique sont des enjeux que j’observe depuis 2010. L’administration française est nécessaire et structurante, mais elle est également complexe. Qui n’a jamais ressenti de l’angoisse en effectuant des démarches administratives ? Trop d’informations, de règles incompréhensibles, d’informations redondantes… Le ressenti le plus fort est peut-être le sentiment d’un manque d’attention pour le citoyen, qui se sent souvent demuni face à ses sentiment d’echecs. 

A quoi sert-il d’essayer de simplifier l’administration en ligne si l’on ne simplifie pas d’abord la complexité administrative initiale, et si l’on ne place pas cet objectif au cœur de la conception des services ?

La tâche est immense pour transformer et numériser les services de l’État, aussi bien en interne (car l’État est un grand consommateur de ressources informatiques pour ses usages opérationnels) qu’au niveau des services aux citoyens. Ainsi, entre la culture informatique qui fonctionne et la culture des usages qui sert, l’écart est important. Les manières de faire sont nombreuses : développement interne ou externe, modèle efficace de l’entreprise privée, open source, culture SSII de pilotage de projets ou de spécifications des besoins fonctionnels décorrélées de l’exécution, mais également découverte de la notion d’usage, et des facteurs humains ou à des obligations telles que l’accessibilité. On assiste également à l’apparition de « martingales magiques » telles que les recherches utilisateur UX, le design thinking, le nudge. À ce foisonnement, on peut également ajouter que l’intelligence par les formes, la culture visuelle et les identités cohérentes ne font pas partie de la culture et la formation des élites françaises, renforçant ainsi le sentiment d’incomplétude systématique. Ces transitions nécessitent également des ressources humaines adéquates pour les déployer, avec des capacités d’embauche limitées. Elles impliquent des stratégies, des pratiques, des normes et des modes qui relèvent de natures et d’enjeux très différents.

Une mutation réussie !

Pourtant, et il faut tous s’en féliciter, la transition numérique du secteur public est entrée dans une phase de maturité.

La première de ces réussites est vraisemblablement le site impots.gouv.fr, dont l’universalité, la complexité et la sécurité ont été simplifiées tout au long de son développement. La seconde grande opération, moins visible, plus culturelle, est la dynamique engagée par la Dinsic il y a un peu moins de 10 ans, avec la refonte du site Data.Gouv piloté par la Etalab. Ses démarches de « Hacking des processus », d’ouverture aux contributions extérieures, de rapport avec les communautés, et de plateforme ont inspiré beaucoup des projets suivants : BetaGouv, Startups d’État, et intégration du design. À ces résultats inspirants, on doit évidemment ajouter « FranceConnect » qui certifie notre identité auprès d’une multitude de services avec constance et fluidité.

Au-delà des projets opérationnels, cette dynamique a permis l’engagement de jeunes agents et l’instauration d’une dynamique « désirable » autour de l’intérêt général.

Autre point de changement majeur, sûrement le plus sous-estimé et peut-être le plus historique : la République française possède enfin une identité, une représentation graphique et une signature unifiée pour représenter la République, les ministères, le gouvernement, l’État et la République avec une cohérence graphique, typographique, et de références de couleurs unifiées. Ces identités graphiques d’État à l’exemple du « programme d’image de marque du gouvernement » du Canada, permettent au public de reconnaître facilement les documents fédéraux et d’améliorer le service au public : « …pour faire en sorte que les ministères soient redevables envers le public qu’ils servent ».

Dernier élément de ce parcours réussi, l’État français a mis en place un design système, un outil de référence pour l’architecture, les composants et le fonctionnement des sites web de l’administration. Toutes ces initiatives intègrent à la culture de l’administration la notion d’intelligence formelle, fonctionnelle, symbolique et la cohérence nécessaire que l’on attend d’un état.

Aujourd’hui, FranceConnect permet d’obtenir un extrait de casier judiciaire ou d’obtenir une attestation de droit à l’assurance maladie en moins de deux minutes. Le site du Conseil d’État, Télérecours, qui gère les tribunaux administratifs, est un modèle d’efficacité. Au niveau régional, les Directions régionales interdépartementales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS, ex-DIRECCTE) ne sont pas en reste avec un champ de démarches très large et relativement efficace, comme la demande d’agrément de formation.

Vous avez dit irritants !

Malgré ses succès indéniables, certaines organisations publiques sont en retrait de cette transition et sont encore trop centrées sur leurs prérogatives et leur autorité plutôt que sur les citoyens. L’exemple le plus significatif est sans doute le site de l’Agence Nationale des Titres sécurisés (ANTS) qui permet l’accès pour tous aux titres et justificatifs les plus symboliques de la citoyenneté française : la carte d’identité, le passeport, le permis de conduire et le certificat d’immatriculation, c’est-à-dire l’automobile, point de départ du mouvement des gilets jaunes, faut-il le rappeler. L’ANTS est l’un des services les plus concrets et représentatifs des relations entre citoyens et État. Malgré une refonte engagée, la simplicité apparente du site est encore très loin d’être au niveau désormais des grands services de l’État.

Les raisons en sont multiples : la complexité des règles administratives, dénominations étranges, absence de hiérarchie, hybridité des démarches, surabondance d’informations périphériques, multiplication des aides, redondance, problèmes techniques récurrents comme sur le site HistoVec,. Malgré ses nombreux problèmes de conception, ce site répond à toutes les normes en matière d’accessibilité et d’utilisabilité.

Victimes de leurs ergonomies, l’ANTS et quelques sites publics sont également victimes d’un brouillage massif de services de professionnels de substitution payants (légaux) et du parasitage de sites payants qui profitent de la complexité des démarches et de l’exclusion des populations les moins à l’aise avec les systèmes numériques.

Cependant, lorsqu’on rencontre ces problèmes et que l’on a le courage d’attendre au téléphone, des opérateurs efficaces et patients compensent les carences du site en accompagnant les utilisateurs jusqu’au bout des démarches.

Après ces succès, comment progresser encore ?

Les tensions au sein de l’État sont nombreuses et souvent politiques. Alors qu’il peine sur de nombreux sujets, il est courant d’entendre des débats sur ce que l’État devrait faire, rarement sur comment « bien le faire ». Notre goût de la réflexion, de la critique et du débat d’idées se substitue souvent à la culture du « faire », du résultat et de fait, de l’intérêt général.

Il semble que l’ambition, la compréhension du contexte et les objectifs de service au citoyen, ainsi que leur réalisation débarrassée des croyances et des méthodes toutes faites, soient la clé de l’amélioration des services légaux, sociaux, fiscaux, mais également relationnels. Un pragmatisme et une rationalité opérationnelle sont nécessaires. Il s’agit alors moins de tout faire que de mettre en place des services qui servent, et pourquoi pas un jour, des outils open source et des versions d’OS qui coordonnent, facilitent et relient des services, à l’exemple de DataGouv, et de FranceConnect. 

L’état devra se positionner et definir ce qu’il doit faire pour les citoyens et pour son propre usage mais également quand il doit faire appel à des solutions externes françaises ou européennes existantes . Cette bonne répartition est parfaitement illustrée par le tout nouveau service « mon espace santé » qui part du patient citoyen. Il fonctionne comme une espace personnel accueillant des services tiers et est facile d’utilisation et sûr.

Notre puissance administrative est un atout !  Il est aussi important de conceptualiser des approches à partir de sa culture que de regarder ailleurs. Les approches de Startup d’État ou d’entrepreneur d’intérêt général sont des concepts stimulants nés en France (ils n’ont rien à voir avec la « startup nation »). Dans le cas du design, par exemple, la majorité des méthodes autour de l’expérience utilisateur (UX) relèvent de techniques consuméristes nord-américaines : recherche utilisateur, design thinking, design de service, persona caricaturant les nécessités sociologiques et ethnologiques. Elles caricaturent le plus souvent les utilisateurs en les réduisant à des scénarios linéaires factices, loin de la vie réelle qui repose sur l’expérience de son usage plutôt que sur l’usage lui-même qui ne resiste pas une seconde aux réalités sociologiques rencontrées à la Caisse d’Allocation Familiales par exemple. Enfin si l’accessibilité est un dû et une obligation, elle ne peut pas être le seul discours des sites publics en termes d’attention aux citoyens.

Cette absence de vision globale pointe l’incompréhension par l’état de la nature du design et de ses rôles stratégiques ou peut-etre la faiblesse des designers eux-mêmes . 

La mission d’un service, ses fonctions et les tâches à effectuer mais également son adaptabilité sont fondamentales. Par exemple considérer les besoins du citoyen plutôt que ce qu’il doit faire. C’est-à-dire accepter qu’il relève de différentes situations : entrepreneur, salarie, pensionné, retraité, ancien militaire, etc. Tout devrait être gérable à partir de son identité et ses besoins plutôt que de son statut administratif, un peu à l’exemple du site ma retraite. Mais également proposer des points de contact polymorphes, multimodaux qui peuvent s’appliquer indifféremment en numérique, physique à l’exemple des maisons France Service et de leurs derivés innovants à inventer.

Imaginons alors un design de la relation avec les citoyens. Cette ambition d’un design de stratégie relationnelle capable de s’opposer à la complexité plutôt que d’en être le chausse-pied pour la fluidifier pourrait devenir un modèle de construction de la simplicité par nature et d’adaptabilité. L’acte essentiel de la citoyenneté numérique française qui serait au numérique ce que le fronton est à la mairie. Cela passera par l’attention aux formes du quotidien et de la vie, aux situations sociales, aux détails, au réel plus qu’aux statistiques comme l’évoquait le philosophe Michel de Certeau. Cette ambition est capitale pour créer une nouvelle culture de relation de l’État avec les citoyens que nous appelons de nos vœux.

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