Une Culture, Une industrie, un modèle ?

Dans le cadre du programme REFAIRE de la Fing, voici un article sur une filière industielle qui s’est développée sur une culture, un milieu et un esprit proche des FabLabs. C’est à dire la transformation d’aspirations sociales, d’opportunités technologiques et de “manières de faire” en activités économiques.

La France possède une industrie leader, le saviez-vous ? Les “industries nautiques” et de la plaisance sont le leader mondial de leur secteur. Cette situation est assez rare pour être soulignée. L’ industrie nautique exporte des bateaux de loisirs dans le monde entier. Il est donc intéressant d’observer comment cela est arrivé sous l’angle de l’histoire, du contexte et des hommes au moment où les questions d’industrie sont au cœur de l’actualité. Les industries nautiques sont-elles un modèle ?

Le Vaurien construit par des amateurs à contribuer à la démocratisation de la voile ?

Il existe une filière complète en France autour du Nautisme qui s’étend du bateau au logiciel en passant par l’accastillage. Ainsi en Europe les Français produisent le moyen gamme supérieure et le haut de gamme, les Italiens le très haut de gamme souvent sur mesure et les Allemands se concentrent sur le moyen de gamme, aux prix agressifs. Une situation quasi inverse a celle du monde de l’automobile pour la France et l’Allemagne.

Cependant, malgré cette position peu courante de leader, la période actuelle est très difficile. Malheureusement, de nombreux chantiers parmi les plus connus comme Archambault ou des fournisseurs de matériel d’équipement comme le groupe Navimo-Plastimo sont en grandes difficultés .

Ainsi la démocratisation de la plaisance a forgé une activité industrielle. Cette aventure industrielle est intéressante, car elle illustre l’importance du contexte, de la culture et des symboles pour faire “Industrie”. Ces dimensions impalpables irriguent les produits, les entreprises et les pratiquants. La voile possède la capacité à mêler de l’engagement social, associatif, sportif, entrepreneurial, historique et humaniste autour d’un milieu: la mer. On retrouve un ensemble de composants faisant écosystème: des hommes et des femmes passionnées, un engagement associatif fort, des écoles de formation, notamment les Glenans, les clubs de voiles agréés par la Fédération Française de voile, des performances sportives, des courses mythiques, des régates de club, des croisières plaisirs, l’aventure humaine, mais aussi des technologies, des techniques d’industrialisation, des concepteurs reconnus, des artisans, des industriels et des produits iconiques.

histoire(s)

Ces succès ont commencé après guerre avec le désir d’autres horizons. L’école des Glenans est le symbole de cet esprit. Elle est fondée par Pierre et Hélène Viannay, résistants et fondateurs du Réseau Defense de la France et de France Soir. Cette école de la renaissance à la vie doit permettre aux résistants, aux victimes de la guerre de revivre. Cette association à vocation humaniste et sociale a formé des générations de marins et d’amateurs sur les vauriens et autres corsaires conçus pour son usage. Ces bateaux étaient réalisables en auto construction (on dirait FabLab ou DIY aujourd’hui). Elle illustre l’importance du monde associatif dans sa capacité à accompagner les évolutions sociales et sociétales, voir à les déclencher. L’école des “Glenans” a ainsi largement contribué à la démocratisation de la voile et a accompagné la naissance d’une industrie. Les progrès technologiques l’ont permis avec l’apparition de nouveaux matériaux et de procédés de construction : l’aluminium pour les mats et le polyester pour la construction des bateaux en remplacement du bois ont ainsi permis le chemin vers l’industrialisation.

Cette démocratisation est également liée à l’émergence de la société des loisirs et à l’émancipation individuelle. Il fallait un symbole déclencheur à cette mutation, l’exploit d’Éric Tabarly, vainqueur de la transat anglaise en solitaire en 1964 ont révélé au grand public que la mer pouvait être une terre d’aventure, d’exploit, mais aussi de plaisirs et de découvertes.

Des quêtes humaines

le Sport et l’aventure ont contribué aux rêves, ainsi a coté des exploits de Tabarly, d’Alain Colas, d’Alain Gabbay, d’Éric loizeau , de Philipe Poupon, pour la plupart anciens équipiers de Tarbaly . Les écoles de la fédération française de voile où l’on apprenait l’été à faire de l’Optimist du 420 ou du 470. Des courses comme la solitaire de l’Aurore, aujourd’hui course du Figaro, le tour de France à la Voile, la route du Rhum, et la mythique transat anglaise ont développé des bateaux de courses à l’architecture audacieuse, des marins de haut niveau mi-marin mi-aventurier qui ont fait rêver la France tout au long de son littoral.

L’aventure et la découverte de l’autre et du monde tout autant que le sport ont également contribué à cette culture nautique française. Il s’est ainsi créé une identité spécifique, populaire, aventurière démocratique au regard du Yachting élitiste britannique. On se souvient ainsi d’écrivain de l’aventure comme Henri de Monfreid, ou des navigateurs Alain Gerbaut, du Canadien Joshua Slocum, d’Éric Tabarly, de Damien explorant les grands froids et de tant d’autres racontant les exploits de ces aventuriers découvrant le monde à la voile et sans le sou.

Cette conjonction d’histoires, de rêve d’aventure, de victoire et de technologie a créé la voile française.

Elle nous montre encore une fois qu’un produit, qu’une industrie ne peut être en décalage avec les attentes des gens et que l’industrie est autant la cause que la conséquence de ses attentes à vouloir naviguer. Le terme de “plaisancier” est apparu pour distinguer l'”amateur” du marin de labeur.

Industrie(s)

Ces événements et bien d’autres et ont ainsi créé un marché et des pratiques. Le Salon Nautique de Paris a ainsi fêté ses 50 ans l’année dernière, le Grand Pavois de La Rochelle, salon à flot, ses 40 ans. Aujourd’hui le groupe Beneteau, propriétaire des marques Lagoon, Wauquiez, Jeanneau sont le leader mondial du secteur. Béneteau fabrique ses bateaux avec des processus industriels sophistiqués: chaine mobile qui inspire l’industrie aéronautique (Dassault aviation), processus qualité, nouvelle technique de stratification et qui s’est diversifié avec succès dans l’habitat pré-industrialisé grâce à ses savoir-faire. Cet écosystème s’ancre sur différents territoire, Rochelais, Lorientais, Breton ou Méditerranéen. Ils ont bâti ce secteur. Derrière la fabrication et la vente, les marchés d’entretien, de vente d’occasion ont élargi encore l’activité.

Pour qu’il y ait des bateaux, il faut des hommes et des femmes entrepreneurs qui portent ces entreprises: Annette Roux, patronne de conquête du Chantier Béneteau, Jean François Fountaine, ex-champion de dériveur, produit les catamarans de croisière Fountaine-Pajot ou Christian Bourroulec coureur de la Mini Transat et fondateur du chantier Structure.

Ces industriels, patrons de chantier et les nombreux architectes navals français ont créé des “produits iconiques” reconnus pour leur qualité de “synthèse créative”. Ainsi après les corsaires et mousquetaires des Glenans, ont succédé les “Arpege“, Sangria, First 30, First 210, Gin Fizz rejoint aujourd’hui par les RM, Django, Sense et autres catamarans de Lagoon, Fountaine Pajot, Nautitech ou Outremer.

Les gros chantiers ont grandi, certains pionniers ont disparu comme Edel, Jouet, ou GibSea, d’autres ont été repris par des groupes étrangers comme Dufour. La qualité, l’innovation et la créativité sont également présentes. Des jeunes chantiers, innovants ont émergé, plus petits et créatifs.Ils se sont positionnés sur des marchés de niche comme Latitude, MaréeHaute, RM-Yacht, ou le chantier Structure qui produit les fascinants Pogo sportifs.


Le Pogo 2 de série 539 de Ian Lipnski sous spinnaker asymétrique

Pour que l’on construise des bateaux, il faut également un écosystème d’équipementier. Il est présent en France dans l’accastillage avec Wichard, Facnor, Zspar ou les très créatifs Karver, les corderies avec Lancelin, des voileries grandes ou petites comme Delta Voiles, parfois plus petite et pointue comme All Purpose, Star Voile ou des artisans de qualité, comme Ulmo . Le logiciel et le numerique ne sont pas absent avec par exemple MaxSea ou Adrena ou l’électronique avec NKE, .

La culture nautique, des pratiques, des praticiens, des industries, des produits séduisants et innovants ont créé une industrie leader. Le contexte géographique et historique nous a aidés. Mais il semble que la dimension culturelle induite par la mer, c’est à dire les rêves, les récits, les épopées et les symboles ne peuvent être dissociés des succès économiques, ils y ont largement contribué. Ainsi à l’heure des fabLabs, de la neoIndustrialisation, des clusters, des pôles de compétitivité et des écosystèmes numériques. La mer nous rappelle qu’un écosystème économique ne peut nier la passion, le contexte, la culture , les symboles, les réalisations personnelles et l’engagement social.

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