Réconcilier design et numérique

Alors qu’ils sont au coeur de la mutation numérique actuelle, pourquoi les liens entre design et technologies sont-ils si peu enseignés en France ? Le Human-Computer Interaction Institute de Carnegie Mellon University et le Media Lab du MIT aux Etats-Unis, le département interaction du Royal College of Art en Grande-Bretagne ou le laboratoire EPFL-Ecal Lab en Suisse ont construit une pensée contemporaine du design et du numérique comme contributeurs des possibles technologiques. Chez nous, il n’existe pas d’équivalent. Depuis les vingt dernières années, à l’exception de professeurs de talent, esseulés et disséminés, et de quelques élèves explorateurs, aucune école de design n’a dressé pleinement le rapport entre design, innovation et technologies. Ces établissements demeurent dans une position floue entre offre et demande, exploration et professionnalisation, art et savoir-faire qui repose souvent sur des pratiques établies plutôt que sur la fabrication de l’époque. Alors qu’elles sont naturellement liées aux pratiques artistiques, les technologies n’y sont généralement pas considérées comme sujets, souvent réduites au rôle d’outils, mais jamais comme un « monde » en soi, alors qu’elles sont notre contexte contemporain, comme l’industrie a été celui du Bauhaus. Critiques, généreuses et rêveuses par nature, les écoles de design sont pourtant indispensables au numérique. Nous avons besoin de créateurs de propositions nouvelles pour spécifier, inspirer et produire les nouvelles techniques d’interaction, vivre avec les intelligences artificielles, proposer des comportements aux robots, faire parler les données, inventer des outils, mais aussi repenser nos habitats, nos villes, apprendre, se déplacer… Un design qui comprendrait en profondeur les technologies passerait par des formations transdisciplinaires pour dépasser les connaissances établies. Des croisements entre écoles d’ingénieurs, scientifiques, de design et d’humanités pourraient peut-être nous aider à dessiner, produire, habiter et comprendre le monde vers lequel nous nous dirigeons, afin qu’il ne se fasse pas sans nous.

Jean-Louis Frechin

Publication originale dans les Echos

08/11/2016 | Jean-Louis Frechin | Économie & société | Innovation | Tribune |

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